De l'illusion spatiale à la qualité esthétique
La phrase en français clair-obscur provient du mot italien chiaroscuro, un terme utilisé pour décrire la peinture monochrome réalisée avec des tons clairs et sombres (Baldinucci, 1681, p. 33). Les deux mots étaient traditionnellement associés à la création de l'illusion de relief et d'accentuation de l'impression tridimensionnelle d'objets et de personnages (Cennini, 1970 p. 10-11). Les deux mots composés chiaro et oscuro étaient comparés, dans des textes anciens de la Renaissance, à la lumière et à l'ombre dans la mise en place d'un tableau (Alberti, 1973, p. 22, § 9; Vinci, 1651, p. 40). La fusion antithétique des composés opposés a eu lieu au milieu du dix-septième siècle, puis rapidement adaptée en français et, de là dans d'autres langues au Nord des Alpes. Le terme existe également dans le contexte technique des lavis sur papier de couleur et pour les gravures sur bois d'imitation de dessins en clair-obscur, faits à l'aide d'au moins deux blocs successifs, ou plus.
Lorsque la notion clair-obscur a été introduite par Roger de Piles dans la théorie de l'art en France, au dix-septième siècle, son importance s'est déplacée vers des aspects de composition disposant des éléments clairs et sombres dans une peinture (De Piles 1677, fols. O2v-O3r). Le concept clair-obscur occupe alors une place essentielle dans la peinture car il nécessite pour l'artiste de choisir la lumière à utiliser dans son œuvre, et par quels moyens. De Piles faisait une nette distinction entre la lumière dans la nature et « l’artifice du Clair-obscur ». Les peintres devaient étudier la conduite de la lumière dans la nature, comme les incidents de lumières et leurs effets sur les ombres, mais aussi appliquer intentionnellement leurs observations dans leurs compositions. La fonction du clair-obscur est de promouvoir l'unité d'un tableau et de créer, par des masses contrastées, un effet esthétique immédiat sur l'observateur, le tout-ensemble (De Piles, 1708, p. 361-386).
Le concept français de clair-obscur n'est pas tant concerné par des singularités d'effets de lumière, que par la disposition de masses claires et sombres sur l'ensemble du tableau. De Piles propose trois dispositifs artistiques pour réaliser le clair-obscur. Premièrement la distribution d'objets dont les lumières singulières se connectent avec d'autres, pour former des lumières générales ainsi que des ombres singulières qui se regroupent à d'autres pour créer des masses d'ombres. Pour illustrer cet aide de la composition, De Piles utilise sa célèbre métaphore d'une grappe de raisins qui rassemble de nombreux grains, et subordonne leurs effets individuels de lumière. Deuxièmement, les peintres peuvent utiliser librement des couleurs claires et sombres pour réaliser le clair-obscur, en employant à leur guise des couleurs artificielles, sans avoir à expliquer la raison de leur luminosité ou obscurité. Et troisièmement, les peintres peuvent faire usage d'accidents, soit de lumière, ce qui signifie pour De Piles des sources supplémentaires de lumière plus faibles que la lumière principale utilisée dans l'œuvre, telles que des fenêtres ou des flammes de lumière artificielle. On peut aussi imaginer que des ombres accidentelles aussi proviennent soit de quelque chose en dehors du tableau ou de nuages traversant les paysages.
De Piles fut le premier auteur de l'art à parler du clair-obscur comme d'un attribut majeur dans les débats sur les artistes et leurs œuvres. Pour lui, Rubens était le peintre qui savait le mieux utiliser les effets du clair-obscur