Pour l'UE, il est d'un intérêt stratégique crucial que des états stables se développent dans cette région. Les troupes militaires seules ne suffisent pas pour régler ce problème de fragilité. Les accords migratoires et les aides au développement traditionnelles sont également insuffisants. La stabilité, une gestion satisfaisante, le développement économique et le bien-être se basent sur la confiance sociale. Lorsque les gens peuvent compter les uns sur les autres, ils créent des entreprises, ils nouent des relations durables ; ainsi se développe une société. Cela ne se fait pas tout seul. Les études montrent qu'un système juridique efficace joue un rôle crucial. Cela fonctionne comme le système d'exploitation d'un ordinateur : une plateforme grâce à laquelle beaucoup d'autres programmes peuvent fonctionner.
Aucun des systèmes juridiques des pays nommés n'est suffisant. D'après les données, la plupart des problèmes juridiques que rencontrent les gens dans ces pays sont liés à des relations fondamentales : la famille, le travail, le logement et l'administration. Peu avant que la guerre n'éclate au Yémen, un peu plus de 90 % de la population avait été confrontée à un ou plusieurs problèmes juridiques sérieux dans les 4 années précédentes. Les voies menant à la justice étaient visiblement longues, sinueuses et jonchées d'obstacles, et les solutions apportées n'étaient pas satisfaisantes. Les effets du manque d'assistance juridique ont été étudiés : dégradation de la santé, plus de violence, moins de revenus, un enseignement de moins bonne qualité et moins d'investissement dans l'avenir. Ce sont les plus pauvres qui sont le plus touchés.
Le moment est venu d'apporter du changement avec un Plan d'Innovations pour la Justice pour le sud de l'Europe. Un Plan Marshall multilatéral, axé sur le développement de systèmes juridiques durables, à même de fournir une assistance juridique efficace. Nous affirmons qu'une assistance juridique appropriée dans ces pays est plus importante que des élections. D'après les connaissances actuelles, le plan devrait contenir les 10 principes suivants :
1. C'est l'assistance juridique dont les citoyens et les entreprises ont besoin qui doit être centrale, et non celle que les juristes estiment nécessaire. Les besoins sont quantifiables : pour chaque province, chaque village et chaque classe d'âge. Les données montrent ce qui doit être traité en priorité, et indiquent si le travail effectué a fonctionné. En Tunisie, l'assistance juridique doit se concentrer sur le secteur du travail. En Syrie, ce sont les questions de propriété qui devront être réglées au retour des réfugiés.
2. Le plan doit laisser la place à l'itération : on devra pouvoir échouer, apprendre et recommencer. La (re)construction d'un système juridique n'est pas un processus linéaire que l'on peut contenir en un plan sur 5 ans.
3. Projeter, organiser, travailler en réseau : le Plan d'Innovations pour la Justice ne sera pas exécuté de façon directive, pyramidale ou hiérarchique.
4. L'expertise et le contexte local sont cruciaux ; ils doivent servir de guide dans le développement et la mise en œuvre d'améliorations.
5. Il conviendra d'encourager la diversité des disciplines et des expertises. Dans beaucoup de ces pays, des initiatives sont prises dans le but d'améliorer le fonctionnement de la justice, comme la création de plateformes web et d'applications de vulgarisation d'informations juridiques. Aucune de ces innovations n'a été développée par des juristes seuls.
6. La technologie et les connaissances doivent être utilisées. Pourquoi le règlement de différends ne pourrait-il pas être soutenu en ligne ? Que nous apprennent les neurosciences sur de meilleures résolutions des conflits ?
7. Il faudra cultiver dès le départ des modèles de financement durables. Cela doit valoir la peine d'investir dans l'assistance juridique.
8. N'oublions pas le pouvoir d'organisation ; c'est le talon d'Achille de chaque système (d'assistance) juridique.
9. Pensons sur le long terme : la révolution européenne qui a suivi la chute du Mur de Berlin n'était pas un plan sur deux ans, mais un projet pour la génération suivante.
10. Enfin : soyons prêts à abandonner certaines idées fixes occidentales sur la façon dont doit fonctionner un système juridique.